Je suis en train de rédiger un article pour une newsletter européenne dédiée aux "Collaborative Working Environment". Je vais intitulé mon "from collaboration to participation", et tenté d'expliquer pourquoi il est beaucoup plus important de déployer dans les entreprises des outils de participation que de collaboration, car là où 30 années de tentatives de faire bouger l'entreprise grâce aux outils de collaboration ont échouées, les outils de participation vont y arriver en quelques années à peine.
Il se trouve aussi que suite au billet de Thierry Crouzet 'Collaboration vs Participation", j'ai eu un échange intéressant sur le sujet. Je remets ici bas les quelques notes que j'ai écrites pour mémoire :
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Nous allons avoir un problème de vocabulaire, car je démontre ici le contraire : le participatif est plus puissant que le collaboratif, car le participatif rend actif les individus, ce que le collaboratif n’a jamais vraiment permis jusqu’à ce jour (cf. "Le web participatif" http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=15806).
Les technologies collaboratives se sont toujours calquées sur les organisations et les hiérarchies existantes, empêchant leur adoption massive par les utilisateurs. Ce n’est que depuis que les technologies sont devenues participatives ("S’associer, prendre part à", Larousse), que l’individu a pu être mis au coeur du système, car la participation rend actif l’individu, là où la collaboration ne le rendait qu’exécutant.
Tu as réduit dans ton billet la participation à une "participation passive", ce qui est tout le contraire de ce qui se passe sur le web depuis 3 ans. D’autre part la participation inclut la collaboration, car toutes les actions que l’on mène dans son quotidien n’imposent pas de "travailler ensemble, dans un but commun". Par contre nous devrions passer notre temps à participatif, à prendre part, à être actif, impliqué dans tous les événements de notre vie sociale, professionnelles, politique, associative, etc... La participation est donc le moteur, la collaboration n’en est qu’un outil.
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Je viens de passer presque 15 ans à essayer d’aider des centaines de milliers de gens à mieux "collaborer" ensemble, et ayant constaté combien ils avaient du mal à "travailler ensemble" alors qu’on essayait de les aider en leur mettant à disposition des outils de travail sensés leur faciliter le "travailler ensemble", sous quelques formes que ce soit, la conclusion finale a été que la "collaboration" est beaucoup trop restrictive comme concept, car en fait elle n’est pas porteuse d’action, de changement. D’ailleurs, comme tu le rappelle, il est effectivement possible de collaborer dans le cadre d’un système totalitaire, mais si un système totalitaire laisse "participer" ses citoyens, c’est à dire prendre la parole, leur permettre de "prendre part à", de "s’engager", tous les exemples récents que l’on a sous la main, et que tu défends à longueur de ton blog et de tes ouvrages, montrent que la participation des individus libère leur énergie et leur besoins d’expression et de liberté, là où la collaboration ne libère rien car elle ne fait que plaquer un processus "neutre" sur des mécanismes organisationnels existants. La collaboration relève donc du moyen, utilisé dans le bon ou le mauvais sens, là où la participation induit un impact social de par la possibilité d’engagement donnée à l’individu. Bien entendu il y aura toujours plein d’individus qui ne participeront jamais, ou qui ne prendront pas en compte l’avis de ceux qui ont participé, mais ce n’est pas pour cela qu’il faut en tirer une règle générale, car elle est bien entendu valable dans l’autre sens..
L’avénement de la participation avec le web 2.0 (et non de la collaboration, car il ya très peu de collaboration dans le web 2.0, elle n’est qu’une conséquence de la participation) a au contraire démontré que cette notion de participation, beaucoup plus large, possédant une puissance d’adoption que ne possède pas la "collaboration", a donc un véritable impact sur les individus, car elle induit un changement profond, dans les mentalités, dans l’organisation, dans les hiérarchies, dans la société, ce que la collaboration ne permet pas et n’a jamais permis.
Je pense donc que ce serait une énorme erreur que de revenir au terme de collaboration, au moment où on peut se débarasser de ce carcan qui n’apportait rien de constructif, puisqu’il n’a jamais été capable de vraiment faire évoluer les organisations dans lesquelles les gens collaboraient. Seul donner la parole à l’individu permet de franchir cette étape. Bien entendu donner la parole peut aboutir à une collaboration, mais cette collaboration ne sera pertinente dans le sens qui nous intéresse que s’il y a eu participation avant. D’où le fait que dans mes travaux, la participation est une étape supérieure à la collaboration. La participation telle que vécue actuellement est un véritable changement organisationnel et sociétal, la collaboration n’est qu’un moyen à notre disposition pour travailler ensemble, pouvant ou non être mis au service de la participation.
Sinon peering ne veut pas dire "travailler ensemble". Il veut plutôt dire "entrer en relation" ou "mettre en relation". "Participation" est pour moi beaucoup plus proche de peering que "collaboration". Dur dur
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D’un point de vue strictement logique, s’il était possible de participer sans collaborer, mais impossible de collaborer sans participer, cela signifierait que la participation englobe la collaboration, cette dernière n’étant qu’un état donné d’un processus participatif global, ou dit autrement qu’un sous-ensemble de l’ensemble participatif. Donc le champs sémantique de la participation serait plus vaste que celui de la collaboration, la collaboration étant incluse dans la participation (ce qui est le contraire de la conclusion d’aztl)
D’un point de vue expérimental, on constate que :
(1) je dépose une photo dans FlickR, j’ai participé à l’alimentation d’un système global. Je n’ai pas collaborer, car je n’ai pas travaillé ensemble
(2) je dépose un commentaire sur une photo stockée dans FlickR, j’ai participé à champs sémantique de la photo, mais je n’ai toujours pas collaborer. De même pour la plupart des commentaires dans les blogs
(3) je coordonne un groupe d’ami à l’issue d’une randonnée et nous nous fixons comme objectif de publier toutes les photos dans FlickR, nous collaborons pour atteindre cette objectif. Et j’ai aussi participer à la réalisation de l’objectif. Et je peux même décomposer cet objectif en sous-objectifs, auxquels je peux participer au sens du point (2) ou collaborer.
Donc quand tu dis dans ton billet :
"ces derniers jours, j’ai pris conscience qu’il pouvait y avoir participation sans collaboration"
je suis d’accord. Par contre quand tu conclus :
"Si vous voulez écrire une définition sur wikipedia, vous ne pouvez pas vous contenter de participer, c’est-à-dire pondre votre texte et vous en désintéresser. Vous devez dialoguer avec tous ceux qui viendront le modifier, le critiquer, le compléter... Collaborer c’est travailler ensemble, c’est profiter de l’intelligence de tous.
Pour moi, le cinquième pouvoir ne peut advenir que grâce aux nouveaux outils de collaboration massive. Nous ne sommes qu’au début de cette aventure."
En sous-entendant que la participation/sans-collaboration ne permet pas d’avancer et que l’obligation est de collaborer, je ne suis pas d’accord. Tout d’abord plein de gens participent à wikipedia sans collaborer, et d’autre part la très grande majorité des succès du web 2.0 impliquent participation mais pas collaboration.
Si on revient sur ton exemple de FlickR, le fait d’avoir créer FlickR et d’avoir permis aux gens d’y participer librement (sans forcément collaborer) a libéré des énergies extraordinaires qui se sont retrouvées partout ailleurs. Quelqu’un qui participe à FlickR se dit mais pourquoi je n’ai pas le droit de faire la même chose dans tel autre site, ou pour telle autre donnée, ou même dans la vie réelle ? Là démarre le processus mental de modification de nos comportements. Si FlickR avait imposé aux utilisateurs de collaborer pour pouvoir publier leurs photos, d’une part il n’aurait pas eu le succès qu’il a eu, d’autre part l’effet libérateur d’énergie participative n’aurait pas eu lieu (le tagging par exemple n’est pas collaboratif, il est participatif, d’où son succès)
Par contre d’un point de vue humain, je suis obligé de constater une chose de plus, que jévoquais dans mon commentaire précédent : j’ai souvent vu des membres d’équipes "collaborant" sans "participer". C’est à dire faisant bêtement ce qu’on leur demandait de faire dans le cadre du processus organisationnel dans lequel ils étaient impliqués, sans aucune implication quelconque, sans en fait "participer" au processus, sans rien y apporter de plus que l’exécution bête et méchante de leur tâche. On les remplace par un robot, et le résultat est le même. Or la participation nécessite "prendre part" et "engagement" et je ne peux, avec le web 2.0, que constater la force des outils de participation, force que l’on n’a jamais constaté à ce jour dans les outils de collaboration. Il faut donc en chercher l’origine dans la participation, pas dans la collaboration.
Donc non seulement la logique voudrait que la participation soit un terme plus vaste que celui de simple collaboration, et le retour d’expérience du web 2.0 que la participation est bien plus efficace que la collaboration pour faire bouger les choses, mais en plus, réduire un concept à sa simple dimension "collaborative" est dangereux, car c’est permettre sa réduction à une mécanique, un automatisme, un "workflow procédural" sans âme, vide de sa dimension participative..
Ma conclusion est donc que la démocratie doit être participative, car elle doit permettre la prise en compte de toutes les dimensions d’implication et la libération de toutes les énergies, incluant la collaboration ou pas. Faire entrer la démocratie 2.0 dans une "démocratie collaborative" reviendrait à tuer sa capacité à générer une nouvelle démocratie et à empêcher l’implication de la majorité des citoyens à ce nouveau processus.
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Le sens des mots est vraiment fondamental, et ces deux mots ne sont pas du tout neutres, ni évasifs, ni vides de sens ou trop plein de sens. Au sens littéral (dans le dictionnaire), on peut déjà leur attribuer un sens bien précis, mais en plus ils sont chargés d’histoire, aussi bien dans le domaine informatique que dans le domaine social ou politique. Je pense qu’il est très important de tenir compte dans l’utilisation d’un mot de l’histoire et de sa charge sémantique associée. En l’occurence le mot collaboration est très riche, car utilisé depuis plus de trente ans dans le monde informatique, avec une mise en situation auprès de millions d’utilisateurs de par le monde, et cela même donc bien avant l’avènement de l’internet. Il me semble difficile de tirer un trait aussi bien sur les sens cumulés que sur les retours d’expérience de l’usage des outils de travail collaboratif depuis toutes ces années.
En guise de petite conclusion à mes propos pour tenter de les simplifier, l’expérience a démontré à ce jour que la courbe d’adoption par les utilisateurs des technologies de collaboration était extrêmement lente, alors que celle des technologies participatives révélées par le web 2.0 est au contraire extrêmement rapide. De ce constat, il est important à mon sens, transposé à l’entreprise ou à la démocratie, de préconiser l’usage de la participation (à définir peut-être plus précisemment) plutôt que de la collaboration. L’autre constat en terme organisationnel, sur vingt années d’utilisation de technos collaboratives, c’est qu’elles ont n’ont pas modifié les organisations existantes, alors qu’en 2 ou 3 ans d’usages de technologies purement participatives, les verrous organisationnels sont en train de complètement sauter ! Il y a donc bien une différence de nature entre participation et collaboration dont il faut réellement tenir compte.
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